Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les Contes d'ETK Onilatki
27 novembre 2012

Ouvameïlyi

Ouvameïlyi est le cinquième être créé (car Zlaa et Kouvalatchyi ont toujours été là), après la Terre, le Ciel, Limézinaï et la Lune. Avant Ouvameïlyi, il n’y avait jamais eu de son dans le monde. Mais Ouvameïlyi a ouvert la bouche et quelque chose en est sorti : on ne pouvait ni le voir, ni le toucher, ni le sentir. C’était un son, un cri terrible comme une tempête. Par un cri plus fort encore, Ouvameïlyi a créé le Soleil, et pour éviter qu’on ne s’en prenne à ce petit être fragile et si beau, elle a fait s’élever certaines parties du sol dans lequel s’est engouffré le Feu. Le Feu veille sur le repos du Soleil, qui ne sort des Bouches de Feu que lorsqu’Ouvameïlyi pousse son cri.

Cependant, bien après la création du Soleil, des humains se sont installés près des Bouches de Feu. Tous les matins avant le lever du Soleil, ils entendaient un cri terrible qui leur glaçait le sang. On disait que c’était celui d’un monstre sanguinaire qui voulait dévorer le Soleil. Plusieurs fois, des guerriers s’étaient aventurés du côté des Bouches de Feu pour tenter de trouver le monstre et de le tuer, mais personne n’en était revenu. Un jour, Tsounliaï, qui venait d’avoir seize ans et demi, se perdit près des sinistres Bouches de Feu. Impossible de retrouver son chemin. Et le Ciel devenait de plus en plus blanc, et le Vent se mit à souffler violemment, et bientôt Tsounliaï fut pris dans l’Inameïlyi, c’est-à-dire la tempête de neige. Personne ne réchappe d’une telle tempête. Le Vent le plaquait au sol, les flocons l’assaillaient, il avait froid, il avait peur, mais eut encore plus peur quand il aperçut une immense silhouette se dresser devant lui, une main vigoureuse le ramasser…

Lorsqu’il se réveilla, Tsounliaï était dans les Bouches de Feu, bien au chaud, face à une géante vêtue de peaux. Etait-ce le monstre ? Il tenta de se lever pour s’enfuir, mais la tête lui tourna et il retomba au sol. La géante avança ses énormes mains vers lui ; il se protégea la tête, mais à sa grande surprise sentit des mains très douces sur ses épaules. La géante émit un son : elle ne parlait pas. Tsounliaï se dit qu’elle devait être une de ce qu’on appelait les Atchélii, ces premiers êtres du monde qui étaient arrivés bien avant les humains et qui n’avaient pas été touchés par la malédiction de l’Ourse Bleue. Elle sourit. Ses dents étaient blanches comme la neige, mais ressemblaient à celles d’un loup. Le mangerait-elle ? Il n’était pas du tout rassuré, mais bizarrement se sentait apaisé. Dehors, il faisait nuit. On n’était pas dans ces lieux où le Jour et la Nuit n’alternent qu’une fois l’an, mais en cette période de l’année les jours étaient très courts. La géante hissa soudain Tsounliaï sur son dos, quitta la grotte, grimpa tout en haut de la plus haute Bouche de Feu, déposa délicatement le jeune homme auprès d’elle et s’assit sur l’aplomb. Tsounliaï contempla les Bouches de Feu. Il s’approcha de la géante, et timidement se tint à son bras. Imperturbable, la géante poussa un cri terrible et magnifique, et Tsounliaï vit le Soleil sortir des Bouches de Feu. Il sut alors aussitôt auprès de qui il se tenait : celle dont le cri est une tempête, Ouvameïlyi…

Tsounliaï resta longtemps avec elle, jusqu’à ses vingt-deux ans ; il apprit à connaître Ouvameïlyi et même à l’aimer éperdument. Chaque matin il allait avec elle pour éveiller le Soleil : c’était le moment qu’il aimait le plus… Mais les siens lui manquaient… Il fit comprendre à Ouvameïlyi qu’il souhaitait retourner parmi les humains et qu’il était très triste. Elle n’émit pas de son, mais le serra tendrement contre elle ; Tsounliaï avait bien conscience qu’étant donnée sa puissance, Ouvameïlyi aurait pu l’étouffer, le broyer… Il en frissonna. La géante le hissa sur son épaule, et dévala les Bouches de Feu. Tsounliaï vit tout en bas des lances et des vêtements : jamais Ouvameïlyi n’avait tué les guerriers pour les dévorer : ils étaient tout simplement tombés… L’Atchéli s’approcha très près du village humain, y déposa le jeune homme, et disparut parmi les flocons qui commençaient à tourbillonner.

Tsounliaï fut accueilli au village très chaleureusement ; on le pressait de tous les côtés pour savoir ce qu’il avait vécu pendant toutes ces années. Tout le monde fut effrayé de savoir avec qui il les avait passées, et personne ne crut en la gentillesse et la douceur d’Ouvameïlyi. « Elle voulait te manger, c’est tout ! » « Non, sinon elle l’aurait déjà fait… »

Les cris d’Ouvameïlyi tous les matins pour faire se lever le Soleil rendait Tsounliaï plus triste chaque jour : elle lui manquait tellement ! Il n’avait qu’une envie : la rejoindre au plus vite.

Un jour, le chef du village et la tongoï vinrent le trouver : son aide était requise pour capturer le monstre et faire cesser ces cris terribles. Tsounliaï refusa : hors de question de s’en prendre à celle qu’il aimait ! Alors ils lui tendirent un piège, le saisirent et l’attachèrent à l’entrée du village. Pour vaincre sa peine, le froid et l’ennui, Tsounliaï se mit à chanter quelque chose de très beau à l’adresse d’Ouvameïlyi. C’était le même chant qu’il avait entonné chaque soir quand il était dans les Bouches de Feu. La nuit venait justement de tomber. Il pensait si fort à Ouvameïlyi, qu’il crut in instant que ses yeux lui jouaient un tour… Mais c’était bien elle dont la gigantesque silhouette se découpait sur le ciel bleu-noir. Elle venait le délivrer…

Mais soudain il y eut des torches qui fusèrent de partout, et des lances, et des flèches enflammées, et des javelots… Ouvameïlyi se battit comme seuls les Atchélii peuvent se battre, mais assaillie par le nombre, elle finit par se faire ligoter et enserrer dans un filet. Tsounliaï avait hurlé pendant l’assaut : « laissez-la ! », mais rien n’y avait fait. Il comprit alors qu’il faisait partie du piège tendu pour capturer son amie. Il fut délivré, mais resta dehors. Il grelottait de froid et d’effroi : par sa faute, Ouvameïlyi était prisonnière. Il devait la délivrer absolument : il prit son couteau, s’approcha du filet dans lequel se tortillait Ouvameïlyi qui grognait épouvantablement, découpa les mailles. Ouvameïlyi arracha ce qui restait du filet, saisit Tsounliaï par les épaules et le souleva pour porter son visage à hauteur du sien. Il comprit qu’il avait perdu sa confiance, et que jamais plus elle ne l’emmènerait sur les hauteurs de la plus haute des Bouches de Feu pour faire se lever le Soleil. Il ferma les yeux, respira très fort, et les rouvrit : il fallait qu’elle comprenne qu’il n’avait jamais voulu sa capture… Mais le regard d’Ouvameïlyi était désormais dur et froid. Tsounliaï ne souhaita donc plus qu’une chose, et espéra de toutes ses forces qu’Ouvameïlyi le comprît. Il sut à l’instant qu’elle avait compris : l’étreinte se fit plus forte, trop forte, sur ses bras, son torse et son cou, puis il mourut, avec pour dernière vue le visage de sa chère Ouvameïlyi…

Pendant un long moment, le cri terrible ne retentit pas, et le Soleil ne se leva pas. Au village, on avait retrouvé le filet déchiré mais pas le corps sans vie de Tsounliaï. Ouvameïlyi l’avait emporté. Personne ne songea à partir à sa recherche ; tous regrettaient ce cri grâce auquel le Soleil se levait. On brûla le filet et les liens qui avaient retenus Ouvameïlyi et Tsounliaï, et alors un long hurlement plus glaçant que jamais se fit entendre. Aussitôt après, le sol trembla, et le Soleil se leva, rouge et brillant. Les humains décidèrent qu’il était plus prudent de quitter les lieux, et depuis aucun humain ne s’est approché trop près des Bouches de Feu.

Tsounliaï repose à jamais tout au fond de la plus profonde des Bouches de Feu, là où sa chère Ouvameïlyi l’a emporté, à l’abri de tous et de tout ; quant à Ouvameïlyi, quand elle contemple les Bouches de Feu avant de faire se lever le Soleil, elle articule avec douceur les trois syllabes qu’elle ait jamais su prononcer : Tsoun-li-aï…

Publicité
Commentaires
Les Contes d'ETK Onilatki
Publicité
Publicité